L’entretien du mois : Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin.

« Face à l’ultra fast fashion, la France et l’Europe doivent organiser la riposte »
A quelques semaines du vote au Sénat de la loi visant à lutter contre l’ultra fast fashion, Yann Rivoallan nous rappelle l’urgence à agir face au développement de ces plateformes de vente qui bouleversent nos marchés et font encourir un risque majeur aux entreprises françaises du secteur.
L’Ultra fast fashion est une tendance de plus en plus massive. Pouvez-vous nous décrypter le phénomène ?
Il est essentiellement porté par les marques Shein, née en 2014 et Temu, apparue sur le marché en 2022. Ces deux plateformes fonctionnent de façon très semblable. Elles proposent à (très) bas prix des produits de qualité médiocre -le plus souvent des copies ou des contrefaçons- le tout avec un système de vente extrèmement agressif… Des promotions en compte à rebours pour créer un sentiment d’urgence, un paiement en un clic pour favoriser l’achat d’impulsion et surtout, une production exponentielle.
A-t-on des chiffres pour témoigner de ces niveaux de production ?
Absolument. Shein propose quotidiennement 10 000 nouvelles références, produites chacune à plus de 100 exemplaires, ce qui fait au minimum un million de pièces fabriquées par jour. Son marketing agressif incite à une surconsommation qui se révèle particulièrement dangereuse pour ceux qui tombent dans leurs pièges à promotion. Par ailleurs, ces plateformes constituent une catastrophe en termes écologique et social. Shein émettrait 16,7 millions de tonnes métriques de dioxyde de carbone par an. Tout comme Temu, la marque ne respecterait pas les droits sociaux, obligerait ses salariés à travailler 75h par semaine pour un salaire d’un euro par vêtement fabriqué. Et pourtant… Le résultat est un développement exponentiel de ces plateformes : les ventes de Shein ont atteint 38 milliards de dollars en 2024, celles de Temu 54 milliards de dollars. Et les Français ont dépensé 4,8 milliards d’euros chez Shein et Temu selon l’agence Circana en 2024.
Les conséquences sont particulièrement délétères pour le secteur de l’habillement en France et en Europe. Quelles sont-elles exactement ?
L’Ultra fast fashion fragilise incontestablement le secteur en créant une concurrence totalement déloyale. Dans ce contexte, de nombreuses entreprises sont aujourd’hui en difficulté en France, dans les boutiques comme dans le domaine de l’e-commerce. Il suffit d’observer l’actualité récente pour prendre la mesure de la situation. La marque C&A a annoncé la fermeture prochaine de ses magasins en province et l’enseigne Kaporal est en liquidation depuis le mois dernier, ce qui entraîne la destruction de quelque 300 emplois. De plus, la situation risque d’empirer rapidement avec l’augmentation des droits de douane américains qui va inciter les marques chinoises à se recentrer sur l’Europe, considérée comme un marché refuge. Ces plateformes sont dangereuses car elles saturent nos marchés. De plus, leur politique de contrefaçon met à mal l’image de la créativité et de l’identité des marques. Face à cela, plusieurs maisons réagissent et intentent des procès en contrefaçon mais il est très difficile de lutter face à l’avalanche de lancements de produits, sans cesse renouvelés.
Une loi anti fast fashion doit être prochainement votée au Sénat. Quels sont ses enjeux ?
Une première version, présentée le 14 mars dernier à l’Assemblée nationale, proposait notamment de stopper la publicité de ces plateformes, de créer des malus pour les produits vendus par ces plateformes (5 euros) et de reverser ces sommes sous forme de bonus aux marques françaises, sur la base de l’affichage environnemental. La proposition qui sera présentée au Sénat est moins ambitieuse mais potentiellement plus en phase avec le droit européen. Les places de marché (du type amazon) ne seront pas concernées par la loi, le sujet des micro-fibres ne sera pas pris en compte et il est possible que l’interdiction de la publicité soit également retoquée, toujours pour un problème de conformité avec le droit européen. Cette loi aura tout de même le mérite d’exister, et de créer une harmonisation au niveau européen. Dans le contexte, il faut qu’elle soit votée au plus vite et que nous mettions également en place des barrières douanières qui n’existent pas encore. Aujourd’hui les produits importés de moins de 150 euros ne s’acquittent pas de la TVA.
Et peut-on espérer de sa mise en œuvre ?
La question est importante car une loi ne vaut que si ses applications sont mises en place rapidement et de façon efficace. Tout est une question de moyens humains et financiers. Pour cela, il faudra sans aucun doute réinvestir dans des services de douanes plus puissants et plus technologiques. Nous devons nous réinventer de manière aussi courageuse que réactive pour répondre à cette question. Comment nous protéger, pour mieux créer et mieux commercer…