Déchets textiles industriels : une autre manne pour l’économie circulaire !

Chaque année, des milliers de tonnes de déchets textiles industriels sont produits en France. Mode Grand Ouest se penche sur les possibilités de recyclage de ces matières pouvant intéresser d’autres marchés que la mode.
Si le sujet du recyclage des vêtements invendus ou usagés fait l’objet d’une forte médiatisation, celui des déchets textiles industriels est en revanche peu connu.
Et pourtant, il mérite de l’être. D’abord pour des raisons réglementaires. Depuis le 1er janvier 2025, l’enfouissement de bennes contenant plus de 30 % de déchets textiles n’est en effet plus autorisé. Une règle qui ne vaut pas pour le cuir.
Ensuite, parce que ces déchets ne manquent pas d’atouts dans une optique d’économie circulaire. “On maîtrise parfaitement leur traçabilité. Il s’agit de matières nobles, neuves et dont les propriétés mécaniques sont supérieures à celles de vêtements usagés, liste Clément Gourlaouen, chargé de mission recyclage à Mode Grand Ouest (MGO). Et ce qui coûte très cher lors du recyclage, ce sont les deux premières étapes : le tri et le délissage, soit l’enlèvement des points durs (boutons, fermetures…). Or, elles ne sont pas nécessaires pour les déchets industriels textiles. On démarre ainsi avec un grand avantage compétitif par rapport à l’utilisation de vêtements usagés pour le recyclage”.
2,4% des déchets textiles
Selon une étude de l’ADEME, réalisée en septembre 2023, les chutes de production représentent en France 2,4% des déchets textiles, soit environ 40 000 tonnes annuelles.
Une donnée d’ensemble qu’il s’agissait de ventiler localement, a jugé Mode Grand Ouest, réseau professionnel réunissant 120 adhérents, essentiellement des confectionneurs de l’habillement et de la maroquinerie mais aussi de quelques textiliens et fournisseurs de la filière. Les Pays de la Loire est la région française où on compte le plus de confectionneurs. “Or, l’habillement, avec l’étape de la coupe, est l’industrie qui génère le plus de chutes de déchets textiles. D’où la pertinence de faire des actions dans l’Ouest”, indique Clément Gourlaouen.
En commençant par la réalisation d’une étude. “Nous sommes partis du principe que nous aurons du mal à trouver de bonnes voies de valorisation, si on ne connaît pas bien nos gisements, souligne le chargé de mission. C’est un préalable d’avoir une vue globale des enjeux afin de pouvoir trouver des voies de valorisation pertinentes. Or, en France, il existe quelques données nationales mais aucune au niveau local”.
D’où le chantier collaboratif lancé fin 2022 dans le Grand Ouest, avec en premier lieu, l’élaboration d’une cartographie quantifiant les gisements des déchets textiles, en collaboration avec les CCI des Pays de la Loire et de Bretagne.
57 entreprises sondées sur leurs déchets textiles
57 entreprises, employant 4775 salariés, en majorité adhérentes de MGO, sont ainsi interrogées, à la fois sur la quantité de leurs déchets et leurs destinations. Des confectionneurs ou assimilés, spécialistes des vêtements de luxe ou professionnels, quelques marques de prêt-à-porter constituent la majorité, les autres étant des entreprises de cuir (maroquinerie, sellerie, ameublement, etc). L’échantillon est “suffisamment important pour être représentatif de la région et avoir une première étude de reconnaissance du gisement, même s’il pourra être affiné par la suite”, souligne Clément Gourlaouen.
Les résultats sont instructifs. Quelques milliers de tonnes de déchets, à la fois textiles et cuir, sont détectés. Ils sont principalement orientés vers l’enfouissement (42% des répondants) ou l’incinération/CSR (Combustible Solide de Récupération) (31,6%). L’enquête a en effet été réalisée alors que l’enfouissement de bennes contenant plus de 30% de déchets textiles était encore autorisé. Enfin, un nombre non négligeable (21%) des entreprises ne savent pas précisément ce que deviennent leurs déchets…
Autre élément mis en lumière par le sondage : la grande hétérogénéité des gisements. Les déchets de trois quarts des répondants comportent plusieurs matières en mélange, très variables, selon les collections, les années, les tendances…
Trouver des solutions de recyclage
Cela justifie largement l’objectif que se fixe Mode Grand Ouest : s’occuper de ces gisements qui, aujourd’hui “n’ont pas de solution de recyclage, ces déchets industriels étant trop petits, trop mélangés ou trop fluctuants pour être réemployés ou intéresser un recycleur”. La structure se lance alors dans un deuxième chantier, mené par Mod’Innov, son Cluster Innovation. Celui-ci démarre avec une dizaine d’entreprises (bureaux d’études, confectionneurs…) représentatives de la diversité des gisements.
Une cinquantaine de leurs matières, mélangées et représentatives de la diversité du gisement, sont retenues pour le projet. MGO les envoie au centre européen des non tissés (Cent), une antenne de l’IFTH. Mission : faire des essais de recyclage de ces déchets en non tissés…“Il s’agissait de lever des freins techniques, car ce n’était pas trop l’usage de faire des non tissés avec des mélanges, précise Clément Gourlaouen. Il y avait aussi des matières, trop épaisses ou trop fines, comme les dentelles, les broderies ou les matières contrecollées, réputées ne pas pouvoir être recyclées. Or, ces essais ont permis de voir que c’était possible de le faire”.
Ces non tissés obtenus sont ensuite testés sur plusieurs marchés, par exemple ceux de l’isolation thermique ou acoustique, du prêt-à-porter (garnissage de doudoune, par exemple) ou des accessoires (tote bags, sacoches d’ordinateur…).
Une recherche réglementaire indispensable
Mais cette première phase débouche sur la nécessité d’une deuxième phase, celle d’une recherche réglementaire. “Il s’agissait de repérer quels étaient les débouchés possibles pour des matières recyclées sous forme de mélanges dans des non tissés et dont on ne connaît pas, du coup, la composition. Dans certains secteurs comme l’automobile ou l’habillement, il est en effet difficile d’utiliser de telles matières. Mais ce n’est pas le cas pour des isolants acoustiques ou des accessoires de voyage, par exemple”.
Une fois ce travail fait, MGO est passée à la phase trois. Soit la réalisation d’essais de performance (pour le caractère isolant par exemple), des matériaux non tissés développés. “Ces tests ayant démarré fin 2023, il est encore trop tôt pour des conclusions”, confie Clément Gourlaouen.
Parallèlement, MGO continue de chercher des débouchés et partenaires. “Nous n’avons pas vocation à créer une usine. L’idéal serait que ces travaux puissent servir à un industriel déjà existant ou à des porteurs de projets pour valoriser ces matériaux recyclés”, souligne le responsable.
Des freins au recyclage
Des partenaires qui seraient les bienvenus alors que Clément Gourlaouen n’élude pas les freins qui compliquent le travail ambitieux mené par MGO. A commencer par le fait que l’organisation professionnelle ne bénéficie pas du soutien de l’éco-organisme Refashion, qui supervise la fin de vie des produits de la filière habillement, linge de maison et chaussures. “Celui-ci ne s’occupe que des matières mises sur le marché. Alors que les chutes de production industrielles ont pourtant les mêmes débouchés et les mêmes voies de revalorisation”, regrette le chargé de mission.
Et d’autres cailloux se logent aussi dans les chaussures des initiateurs du projet…
De nature juridique notamment. Dans le grand Ouest, où l’activité de confection est essentiellement destinée au luxe, les déchets textiles appartiennent dans trois quarts des cas aux donneurs d’ordre. “Mais si certaines Maisons de luxe ont leur propre circuit de collecte pour les déchets, ce n’est pas toujours le cas. C’est alors au sous-traitant de les gérer, avec les contraintes de stockage que cela pose”. Autre difficulté, particulièrement répandue dans le luxe : le fait que les matières soient très reconnaissables, notamment siglées par des logos.
Certes, le sujet mobilise les entreprises, comme le montre le sondage initial sur leurs déchets industriels, réalisé par MGO auprès de 57 d’entre elles. 94,8% souhaitaient connaître les résultats de l’étude dont 40,4% se disaient même volontaires pour rejoindre un groupe de travail sur le sujet !
Des acteurs du recyclage en nombre insuffisant
Si l’intérêt est manifeste, côté producteurs de déchets, “les acteurs du recyclage en France manquent à l’appel, et ce, d’autant plus dans le grand Ouest”. Facteur aggravant : ceux qui existent ne sont guère adaptés aux spécificités des déchets textiles industriels, avec des matières très mélangées…
D’où l’importance pour les industriels de l’habillement -qui ne pourront pas utiliser toutes leurs chutes recyclées et faire de la boucle fermée – Clément Gourlaouen en est persuadé, de “créer des liens avec d’autres secteurs, comme l’automobile ou le bâtiment qui seront utilisateurs de ces déchets recyclés pour pouvoir faire des projets d’envergure”.
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